mardi 30 juillet 2002
Cinq ans après
la première partie, nous décidons de relancer l'idée de la
traversé des Pyrénées. Une très fine
équipe est mise en place, constitué d'Alain Blanchot, dit imbécile, Jean-Louis
Carrassoumet (2r, 2s), Patrice Chevalier, dit le neurone ou la fibre
(sous entendu musculaire) et moi-même, dit gros dégueulasse ou
GD. La sélection a été impitoyable, basée sur des critères un peu flou et essentiellement épidermiques. Grosso-modo : aptitude à supporter les bavantes à pied et lourdement chargés, aptitude à déceler les bars dans des villages improbables, aptitude à rire et surenchérir aux conneries de ses compagnons, à supporter les sarcasmes et les vols ploufs, sous le vent, aptitude à supporter les griffures et éraflures dans les longues marches au travers des buis et épineux sous un soleil de plomb, etc... Bref, pas grand chose à voir avec les qualités de pilote de parapente.
Rendez-vous à Montsérié mardi soir pour préparer les sacs.
L'affaire est mal engagée, avec une demi pizza et un quignon de pain chacun, nous nous hâtons de nous coucher, le parapente faisant office de duvet, de matelas et d'oreiller.
Un verre d'eau chacun pour le petit déjeuner et nous nous mettons en route pour trouver un décollage à Sant Gervàs. Droit vers le sommet que nous atteignons en 2 heures de marche. Typiquement espagnol, cette sierra nous propose du buis sur tout son versant nord et sur la crète sommitale, puis sans transition, une falaise rigoureusement verticale au sud. Impossible de décoller ici. Demi tour, pour gagner ce col à l'est.
-Je vous l'avais bien dit, se vante Patrice.
-Ouais, ouais.
Parvenu au col les conditions sont idéales, 20 km/h de brise, décollage gazon. Le jeu est simple : gagner à gauche sur quelques kilomètres, se poser à proximité de la crète là bas au fond, ou bien avec suffisament d'altitude, passer la crète et gagner le village derrière.
En dépliant notre voile, Jean-Louis et moi attendons Patrice et Alain qui on fait un détour. Un quart d'heure plus tard, lorsqu'ils arrivent au col, la brise est à 25, 30, puis 35. D'ailleurs cette brise ressemble fort à du vent météo ! Définitivement trop forte. Nous décidons de fort mauvaise grâce de gagner à pied la crète qui domine la Pobla de Segur. D'après notre carte Michelin, un village se trouve juste derrière. Patrice se fait bien tirer un peu l'oreille, d'autant que nous en sommes à 5 heures de marche et un peu affamés. Au cours de cette aimable promenade, toute la finesse d'esprit de notre quatuor est mise en valeur :
-Alain, c'est toi qui a les canettes ?
ou bien :
-Jean-Louis, tu reprendras bien un peu de canard laqué ?
Parvenus à cette crète, le vent semble se calmer un peu et nous tombons d'accord pour estimer possible, voire excellent un décollage dans une combe sud, suivit d'un entrechat vers l'est, sous le vent météo (ouest) qui aura eu, bien sûr, le bon goût de s'effacer devant la brise qui ne manquera pas de monter par le versant Est en fin d'après-midi... Un pur délire de nos sens fatigués. Patrice, fusible attitré du groupe, en fait bientôt la démonstration de fort belle manière : décollage, +8m/s, fermeture, -8m/s, secousses et tremblements, +8, fermeture, -8,... ad.lib. Jusqu'à l'atterro entre des lignes très hautes tension.
Très tôt, nous le perdons de vue, tous les trois assez inquiets. Replions rapidement nos voiles pour aller aux nouvelles, et descendre à pied jusqu'au village de Serradell. Sur la piste qui y mène, nous obtenons par radio des nouvelles rassurantes de Patrice : rendez-vous au premier bistrot à droite à Pobla de Segur, TVB, la bière est délicieuse, sans parler du bocadillo (sandwich). Une bonne heure de marche pour parvenir à Sarradell : désert. Non, une voiture stationne devant une maison occupée par un jeune peintre belge, sa compagne et son fils. Nous demandons le numéro de téléphone d'une station de taxi, n'importe où, pourvu qu'on ne marche plus et qu'on puisse vite manger et boire.
-Mais non, je vais vous descendre en voiture...
Nos yeux se remettent à briller
-le problème c'est que mon fils (2 ans) a pris les clés de la voiture et je ne sais pas où il les a mises.
Nous prenons les choses en main, pas de problème. Et nous voilà à quatre pattes, cherchant ces !?..!!!$%% de clés avec l'énergie du désespoir. A cet exercice, Jean-Louis est le plus convaincu. Après 5 minutes de recherche, il sort le nez du gazon, faisant tinter à bout de bras l'objet de toutes nos convoitises : les clés !!!
Voilà, quoi. Dix heures de marche avec pour seule nourriture la pizza de la veille. Alain prétend que nous avons eu droit à une barre énergétique et demi qu'il nous a distribué, mais il délire, pas vrai les autres ?
jeudi 8 aout 2002
Avec Patrice Chevalier, excédés par les mauvaises conditions météo qui sévissent depuis le début de l'été sur les Pyrénées, nous décidons de voler au dessus de la Seu de Urgel.
Une étude de la carte Michelin, la plus précise dont nous disposons, puis un coup de fil à Didier Exiga, nous amène au village de Bescaran, puis sur la piste interminable qui part vers l'ouest, et aboutit au Coll de la Font d'Aristot (13 km). Nous sommes au pied du Turo Panco (2493 m) duquel descendent de verts et tendres paturages tout ce qu'il y a d'avenant. Les conditions parraissent correctes, pas (trop) de vent, ciel dégagé. Je décide de prendre le parachute de secours et nous attaquons la demi-heure de marche qui doit nous déposer au sommet.
La marche se déroule pile sur la frontière Andorre-Espagne matérialisée
par des petites bornes bien visibles.
Parvenus au sommet vers midi, nous découvrons vers le nord un petit cirque
auquel on accède par une croupe tentante, garnie d'herbe encore plus moelleuse.
Marcheurs infatigables (!) cette demi-heure nous a laissé sur notre faim, aussi nous allons carresser cette belle croupe de nos semelles avides et bienveillantes, jusqu'au Pic del Coll de la Barra et la Sierra d'Alrosa qui mène au Montrull (2761 m).
Comme les noms l'indiquent, le rocher (éboulis schisteux) est rouge dans tout le secteur. Les premières barbules dérivent, indiquant un vent de Nord-Ouest 20-30 km/h. Bien sur nous sommes sous le vent du Montrull, mais le petit cirque devant nous semble généreux en thermiques de qualité.
Remonté comme une pendule, c'est à mon tour de faire fusible et je décolle impeccablement sous l'oeuil surpris de Patrice qui pensait amorcer la pompe à ma place. Il est 14h, effectivement çà monte de 20 m au delà desquels la machine à trancher les thermiques prend le relais. Inexploitable, très turbulent voire dangereux, nous passons trois quart d'heure à tenter de monter au plafond. Bien sur Patrice va chercher au plus engagé, au plus sous le vent, mais là où çà monte le moins mal. Rien à faire, nous ne dépassons pas la crète et y laissons beaucoup de jus.
Patrice se repose le plus haut possible, non sans mal, je cherche un peu
plus longtemps, un peu plus loin, mais sans succès et finis par me reposer.
Il est 15 h et la brise sur les crètes souffle à 30-35 km/h, nous sommes
au plus fort de la convection, à 500 m l'un de l'autre, nous communiquons
par radio.
- Ca pulse !
- Ouais, on est sous le vent.
- Ah bon, t'as remarqué ?
- J'attend que ca s'établisse et que çà se calme un peu.
- Bonne idée, j'adhère, d'ici 1 heure ca devrait se lisser pour peu que
le gros thermique au nord-ouest nous protège du vent météo.
Calcul foireux, on veut voler, on volera ! Nous attendons dans la brise,
il commence à faire froid, nous observons et observons encore.
J'ai une sorte de noeud dans le ventre et un gros coup de blues.
Au nord, un col où l'accélération du vent est franchement impressionnante.
(40, 50 ou 60 km/h ?) les barbules y sont déchiquetés et dérivent à une
allure inhumaine.
- Ici, çà c'est calmé, m'annonce Patrice, t'as combien, là où tu es (500
m plus loin, 50 m plus bas)?
- Hum, il y a encore 25, 35 dans les rafales !
- J'y vais !!!
Mon coeur bat la chamade.
Du calme, du calme.
Soit, Patrice est allumé mais toi, tu as décidé de redescendre à pied,
point barre.
Mon Patounet passe devant moi, la dérive est sensible et meme déraisonnable,
mais ca semble calme.
C'est effectivement calme, attention de ne pas me faire dériver derrière
la crète, au dessus de la voiture, çà monte, parfait.
Barbules, parfait, maintenant suivre le nuage, sortir du thermique sous
le vent, çà va, les fesses sont encore serrées, mais l'assurance vient,
petit à petit.
Difficile de rester au plafond, d'ailleurs çà m'arrange car ce vent du
nord là haut...
Je me retrouve dans la brise, vent arrière, de bons petits thermiques ici
où là me permettent de progresser.
A un moment, il me semble apercevoir Patrice sous un gros nuage trop sombre
pour mon gout.
Il me confirmera avoir été en difficulté, un peu aspiré mais pas trop (interprétation très libre du célèbre adage
"Putaing, j'me suis fait sucé par un gros noir.
Les B, oreilles, accéléré, 360 engagés, ca montait encore à +3, c'était
limite mais j'm'en suis sorti. Garçon un demi.")
En basses couches, çà se complique, je ne comprend rien.
La bonne brise qui me poussait vers Font-Romeu ne semble souffler que près
du relief.
Dès que je dégage en centre de vallée je suis contré dans l'autre sens.
Tiens, maintenant çà se remet à biper ici, là, là aussi.
Je lève la tête pour voir une rue de nuages qui semble bien matérialiser
une confluence de la brise et du vent du nord qui entre de l'autre coté
(au nord-est donc).
En bas les arbres bougent beaucoup, sans direction bien définie.
Je ne peux pas me poser là, je n'en ais pas du tout, mais alors pas du
tout envie !! Je prend tout ce qui monte pour tenter de gagner au vent
et trouver un endroit plus franc.
La petite voix qui me donnait courage au décollage s'est tue.
A sa place, une bière moussue dessine ses contours alléchants mais encore
flous.
Marre de ce merdier, 2 heures que je suis en vol, maintenant je me pose.
Cette ville en dessous doit bien abriter un bar.
Il me suffit de la dépasser, de poser dans ce champ et le tour est joué.
Je m'engage au dessus de la ville, ca avance bien jusqu'au moment où...
ca n'avance plus du tout.
Tiens, çà recule même.
Jamais je n'atteindrais le champ convoité.
A 50 m sol, demi tour en catastrophe, repérage en catastrophe d'un champ
au format timbre-poste, sous le vent de la ville de Bellver de Cerdanya,
une ligne éléctrique au milieu réduit encore la surface posable.
Turbulences, fermeture, concentration extrème...
posé à reculons...
affalé.
Ouf!!!
Voilà ce dont je me souvient, ou ce dont j'ai envie de me souvenir.
La réalité du posé était légèrement différente.
(Pour ceux qui connaissent cf. l'aquarelle
"comment ils la font, comment ils la racontent" de Samivel).
En réfléchissant bien, j'ai fait mon demi tour au dessus de la ville un
peu plus haut, j'avais le temps (80 m sol), la ligne n'était pas au milieu
du champ, mais en bordure, le fermeture en approche n'était qu'un froissement
de plume, le vent s'est calmé au moment de poser (en marche avant donc),
et j'ai pu affaler sans problème aucun.
Mais après tout, qu'est-ce qui importe ? La réalité où les souvenirs que j'en aurais, lorsque je me repasserais le film ?
Ah, le nombre de kilomètres ? Est-ce bien important ? Patrice s'est posé sur la route de Maranges, 5 km plus loin, il ne pouvait plus avancer avec l'entrée de Nord.
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